RÉSUMÉ : PROUST À L’ÉPREUVE DU DISCOURS RELIGIEUX : UN DIEU, DES DIEUX, AUCUN DIEU ?
Les sentiments religieux, les croyances religieuses, jouent-ils un rôle dans À la recherche du temps perdu ? On peut en douter et estimer qu’il ne s’agit que d’un thème très marginal, dans ce roman où la foi semble absente de la vie des personnages, entièrement absorbés par des préoccupations purement profanes : la mondanité, l’amour, l’art. En observant les traces que dépose dans le texte le mot dieu et son réseau (cf. les formes nominales Dieu, dieux, déesse-s, divinité-s, idole-s, et l’adjectif divin), on se rend compte que la foi chrétienne fait partie de la grande poésie de l’enfance à Combray ; que le héros se présente comme un enfant relativement pieux, éduqué dans un monde encore pétri par la religion ; et que cet héritage, envisagé avec tendresse et humour, ne se perd jamais totalement. Dans « le monde », les passions (sociales, amoureuses) font appel au nom de dieu pour tenter d’exprimer ou de justifier leur intensité ; le thème religieux devient alors un révélateur de mauvaise foi voire d’égarement. Mais le vocabulaire de la foi permet aussi au romancier psychologue de s’interroger sur la dynamique des croyances et de décrire le génie créateur. Il ne s’agit donc pas dans cette étude « immanente » de s’interroger sur les convictions religieuses de Proust ou de ses engagements, par exemple dans le débat virulent sur les lois de laïcité; nous chercherons à préciser le rapport que l’écriture du roman entretient avec le monde chrétien, avec le personnage conceptuel qui domine ce monde, et qu’on appelle communément Dieu. On ne peut certainement pas dire que le texte de Proust soit chrétien, au sens où il inviterait le lecteur à croire en Dieu, ou bien à admettre la vérité de la foi catholique ; on ne peut pas dire non plus qu’il soit hostile ou indifférent à la problématique religieuse chrétienne, et plus exactement, catholique. On analysera la façon dont un univers de croyance extérieur au roman, univers doté d’une forte cohérence doctrinale et d’un immense prestige culturel, rencontre la fiction de Proust : comment il se diffuse dans le tissu romanesque et en révèle certains plis moins perceptibles, plus secrets.
Les courants de la pensée ont connu un changement important entre la fin de l'Ancien Régime et l'époque moderne. Ce changement influence aujourd'hui encore nos vies et nos modes de pensée.
Le XVIIIe siècle est à ce titre très intéressant. Depuis longtemps, cette période est considérée comme « le siècle des Lumières ». Il est reconnu que le siècle des Lumières a rompu avec les conventions et les superstitions de l'époque, se rebellant ainsi contre les autorités traditionnelles. Les hommes ont compris les lois de la nature par la raison, avant d'établir des normes et des ordres dans de nombreux domaines, qui ont été eux-mêmes organiquement incorporés dans de grands systèmes ordonnés, tels que l'État et la société. Toutefois, il y a des éléments s'écartant de ces grandes tendances (qui ne peuvent être soumis à des normes).
Dans le cadre de ce symposium, nous nous pencherons sur ce qui se passait au XVIIIe siècle et aux périodes suivantes. En diversifiant les approches, nous porterons notre regard sur d'autres éléments constituant ces époques que ceux des Lumières.